L'amour d'Alejandra

Une figure dont la poésie a surpassé à la fois la parole et le silence. Une femme qui a fait chair le verbe lui-même, cherchant à comprendre quelque chose qui a toujours été au-dessus de tout. Le silence et la parole, chez un poète qui a été pure passion, jusqu'à la descente. Une femme qui voulait seulement aller au fond. Chaque action, chaque phrase, chaque mot, dans Alexandra Pizarnik il cherchait un sens qui lui soit propre, bien que supérieur à l'insignifiant, au terrestre qui lui était proposé comme formule pour quelque chose qui ne semblait jamais être un complément, mais seulement un reste de l'essentiel. La poésie comme essence de la vie. La poésie comme vie.

Et parmi toutes ses passions, Alejandra a croisé son amour avec celui de Silvina Ocampo. Alejandra aimait Silvina comme personne d'autre. Beaucoup peuvent juger la relation comme lesbienne. Je le considère simplement comme pur, bien plus élevé que ce que les limites de la définition sexuelle peuvent déterminer. Alejandra était toujours au-delà. Et comme marque de cette passion, je laisse cette lettre, écrite en 1972, adressée à l'épouse de Bioy Casares. J'espère que vous l'apprécierez autant que moi chaque fois que je le relis.

«BA 31/1/72
Ma trois chérie,
Un jour très triste où je vous ai téléphoné pour n'entendre que des voix fausses et indignes, provenant de créatures que les golems fabriquaient devant des miroirs (cf. von Arnim).
Mais toi, mon amour, ne m'oublie pas. Vous savez combien et surtout je souffre. Peut-être que nous savons tous les deux que je te cherche. Quoi qu'il en soit, voici une forêt musicale pour deux filles fidèles: S. et A.
Ecris-moi, ma chère. J'ai besoin de la belle certitude de votre présence ici, ici-bas pourtant [ici-bas, cependant]. Je traduis à contrecœur, mon asthme est impressionnant (pour fêter ça j'ai découvert que Martha est dérangée par le bruit de ma respiration malade) Pourquoi, adorait Silvina, est-ce que n'importe quelle merde respire bien et je reste enfermée et je suis Phaedra et je suis Anne Frank?
Samedi, à Bécquar, j'ai couru sur une moto et je me suis écrasé. Tout fait mal (ça ne ferait pas de mal si vous me touchiez - et ce n'est pas une phrase flatteuse). Comme je ne voulais pas alarmer les gens de la maison, je n'ai rien dit. Je me suis allongé au soleil. Je me suis évanoui mais, heureusement, personne ne le savait. J'aime vous raconter ces chair de poule parce que vous seul m'écoutez. Et votre livre? Le mien vient de sortir. Beau format. Je l'envoie à Posadas 1650, qui, étant l'amant de Quintana, le lui transmettra entre dégoût et choix.
Je vous ai également envoyé un cahier vénézuélien avec un je ne sais pas quel degutante [désagréable] (comme on dit). Mais laissez-les vous éditer dans 15 jours (…) Mais oui, je suis une chienne dans le bois, je suis avide de jouir (mais jusqu'au péril extrême) [Mais oui, je suis une chienne en forêt, impatiente de jouir (mais à un danger extrême)]. Oh Sylvette, si tu l'étais. Bien sûr, j'embrasserais ta main et pleurerais, mais tu es mon paradis perdu. Retrouvé et perdu. Baiser les gréco-romains. J'adore ton visage. Et tes jambes et, au sud (bis 10) tes mains qui mènent à la maison des rêves-souvenirs, éclos dans un au-delà du vrai passé.
Silvine, ma vie (au sens littéral) j'ai écrit à Adolfito pour que notre amitié ne dorme pas. J'ai osé le supplier de t'embrasser (un peu: 5 ou 6 fois) pour moi et je pense qu'il s'est rendu compte que je t'aime SANS FOND. Je l'aime mais il est différent, tu sais, non? De plus, je l'admire et il est si doux, aristocratique et simple. Mais ce n'est pas toi, mon cher amour. Je vous laisse: je meurs de fièvre et j'ai froid. J'aimerais que vous soyez nu, à côté de moi, lisant vos poèmes à haute voix. Sylvette mon amour, je vous écrirai bientôt. Sylv., Je sais ce qu'est cette lettre. Mais j'ai une confiance mystique en vous. D'ailleurs, la mort si proche de moi (si luxuriante!) M'oppresse. (…) Sylvette, ce n'est pas une fièvre, c'est une re-connaissance infinie que tu es merveilleuse, grande et adorable. Fais-moi une petite place en toi, je ne te dérangerai pas. Mais je t'aime, oh tu n'imagines pas comment je frémis quand je me souviens de tes mains que je ne toucherai plus jamais si tu n'aimes pas ça puisque tu la vois déjà, la sexualité est un "tiers" en plus. Quoi qu'il en soit, je ne continue pas. Je vous envoie les 2 bibliothèques de poemunculi meos - chose sérieuse. Je t'embrasse comme je connais le russe (avec des variantes française et corse).
Ou je ne t'embrasse pas mais je te salue, selon tes goûts, comme tu veux.
Je soumets. J'ai toujours dit non pour dire un jour mieux oui.
Attention: cette lettre vous peut t'en foutgre et je vous répondrai à propos des [vous pouvez mettre cette lettre dans le cul et me répondre au sujet de] gros cul de fourmis.
Sylvette, tu es la seule, l'unique. Mais ça il faut Je lui dirai: Jamais tu ne rencontreras quelqu'un comme moi –Et tu le sais (tout) (Et maintenant je pleure.
[Sylvette, tu es la seule, tu es la seule. Mais il faut le dire: vous ne trouverez jamais personne comme moi. Et que vous savez (tout). Et maintenant je pleure]
Silvina guéris-moi, aide-moi, ce n'est pas possible d'être une telle torture-)
Silvina, guéris-moi, ne m'oblige pas à mourir maintenant. "


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  1.   Gabrielle dit

    Comment savez-vous que c'était une relation pure et que c'était surpassant, je ne sais pas quoi et je ne sais pas quoi. AP était un excellent poète, mais aussi un être humain et avec pas mal de problèmes d'ailleurs. Prenons soin de nous et gardons le travail. Cette romantisation du poète maudit et sa manière d'aimer, ça l'était.